Au moment où plus personne ne conteste l’importance croissante des “risques psychosociaux” et où se stabilise l’usage même de l’expression pour les désigner, dans les cénacles européens s’organise et se confirme un glissement sémantique vers la thématique plus englobante de la santé mentale. Sous les atours d’un élargissement du débat, c’est l’éclipse de l’expression “risques psychosociaux” qui s’opère, et avec elle, le délitement ou la marginalisation du lien avec les conditions d’emploi et de travail dont ils procèdent.
À partir de la fin des années 1980, les risques
psychosociaux sont apparus, dans de nombreux
pays européens, avec une acuité qui
réclamait une prise de conscience et des actions
de l’ensemble des acteurs investis dans
la santé au travail. C’est forts de ce constat que,
dans le cadre du dialogue social européen, les
partenaires sociaux se sont emparés de la problématique
pour aboutir à la signature des
accords-cadres autonomes sur le stress en
2004, puis sur la violence et le harcèlement
au travail en 2007. Si ces accords ont effectivement
favorisé une prise de conscience
de l’importance de ces risques, alors qualifiés
d’"émergents"1, force est aujourd’hui de
constater, au travers des effets délétères que
ces facteurs de risques produisent sur la santé
d’un nombre toujours croissant de travailleurs,
que ces accords se sont révélés impuissants
à endiguer une progression qui s’apparente
désormais à une véritable pandémie.
Face à ce constat alarmant, et étant entendu que l’existence d’une législation (et donc l’obligation de s’y conformer) est le principal facteur qui pousse les entreprises à agir dans le domaine de la prévention des risques professionnels2, nombreux sont les observateurs qui appellent de leurs voeux une initiative législative portant sur les risques psychosociaux au niveau européen3. Une directive en cette matière présenterait l’avantage d’oeuvrer à une harmonisation de la protection dont jouissent les travailleurs des différents États membres, là où la Commission reconnaît elle-même qu’un niveau de protection minimal fait défaut au sein de l’Union.
Il semble pourtant que ces voeux soient condamnés à rester lettre morte. La problématique des risques psychosociaux, quelle que soit sa progression et malgré les inquiétudes qui lui sont associées, se heurte en effet, à l’instar de la plupart des autres matières relatives à la santé et à la sécurité5, à la paralysie de la machine réglementaire communautaire. Une paralysie amorcée dès le début de l’ère Barroso (2004) et consolidée avec l’amorce du programme REFIT (Regulatory Fitness and Performance) dès 2012.
La communication intitulée Cadre stratégique en matière de santé et de sécurité au travail6, publiée par la DG Emploi et Affaires sociales en juin 2014, atteste du désengagement des instances communautaires à l’endroit des risques psychosociaux en écartant jusqu’à l’horizon 2020 la possibilité de renforcer le cadre réglementaire afin de mieux les prévenir. Si cette communication prend acte de la prévalence du stress chez les travailleurs européens, elle se limite à confirmer qu’il "conviendrait de s’y intéresser" et demeure évasive sur les mesures à mettre en oeuvre pour améliorer la prévention et enrayer la progression des risques qui y conduisent.
La communication de janvier 2017, intitulée Des conditions de travail plus sûres et plus saines pour tous – Moderniser la législation et la politique de l’Union, confirme la faible ambition de la DG Emploi sur cette matière lorsqu’elle énonce, à propos des risques psychosociaux, qu’"afin d’améliorer la protection des travailleurs dans la pratique, il convient de sensibiliser les employeurs et de leur fournir d’autres guides et d’autres outils"7.
Des campagnes de sensibilisation, des guides de bonnes pratiques, des outils informatiques conviviaux, etc. : la Commission propose de poursuivre avec une panoplie de remèdes dont l’usage, maintes fois ressassé ces dernières décennies, n’a pas permis d’infléchir, même modiquement, la progression du mal qui gangrène le monde du travail. En somme, si sur papier, la DG Emploi se défend des accusations d’immobilisme, en promouvant des placébos, elle ne fait pas moins le choix du statu quo. Lire la suite de l'article... (HesaMag N°16.
Auteur : Fabienne Scandella, ETUI.