Pour faire le point sur la problématique des multiexpositions et les nouveaux enjeux de la prévention, l'INRS organise une conférence scientifique qui se tiendra à Nancy du 2 au 4 avril 2012. Un point avec Pierre Campo, toxicologue et coordinateur scientifique de la manifestation.
Les expositions multiples suscitent aujourd'hui de plus en plus d'inquiétudes. Quels sont les devoirs des chercheurs et les enjeux pour les préventeurs ?
En matière de prévention, on se rend compte aujourd'hui qu'il est difficile d'appréhender toute la complexité des situations de travail. L'environnement professionnel comprend de nombreux agents potentiellement nocifs qui deviennent réellement dangereux lorsqu'ils se conjuguent entre eux. La meilleure illustration concerne les interactions entre les expositions au bruit et aux produits chimiques. Certains composés, comme le toluène, peuvent endommager les cellules de l'audition et potentialiser les effets du bruit. Ainsi un travailleur exposé à des niveaux sonores inférieurs aux valeurs limites peut néanmoins courir un risque de surdité si dans le même temps il est exposé à ces agents dits ototoxiques. Si le salarié a en plus une activité physique intense, sa respiration et son rythme cardiaque s'accélèrent, augmentant par là-même l! 'absorption et les effets délétères des produits chimiques sur l'audition... La prévention doit pouvoir s'adapter à ces situations complexes car les multiexpositions sont loin d'être des cas particuliers. On les retrouve dans la quasi-totalité des environnements de travail. D'ailleurs, les principales pathologies professionnelles (troubles musculoquelettiques, lombalgies, allergies, cancers) résultent des effets conjugués de multiples facteurs. Des liens ont par exemple été établis entre les risques psychosociaux et la survenue de TMS. Pour mieux prendre en compte les multiexpositions, il faut contribuer à renforcer les synergies entre les experts de différentes disciplines et favoriser le développement d'un langage commun avec les autres préventeurs.
Comment mieux prendre en compte les expositions multiples dans la démarche de prévention des risques professionnels ?
Il faut faire progresser les connaissances sur les effets cumulatifs des nuisances professionnelles. Des avancées significatives ont déjà été enregistrées. Par exemple, il existe des modèles numériques qui permettent aujourd'hui d'étudier les effets conjugués de certaines substances chimiques. Mais les outils existants sont encore très complexes à mettre en œuvre et demeurent réservés aux chercheurs. Il s'agit à présent de transformer ces connaissances en outils de prévention utilisables en entreprise. Par ailleurs des évolutions de la réglementation s'avèrent indispensables. Les valeurs limites d'exposition au bruit, par exemple, sont les mêmes pour tous les travailleurs, quels que soient leurs environnements de travail. Cela ne suffit pas à protéger l'audition des salariés exposés aux agents chim! iques ototoxiques. Pour remédier à cette situation, il pourrait par exemple être envisageable d'abaisser les seuils de déclenchement des actions de prévention contre le bruit si les travailleurs sont co-exposés à des produits ototoxiques. On pourrait par ailleurs recommander un étiquetage adapté pour cette catégorie de produits chimiques. Les pistes d'amélioration existent !
Quels sont les objectifs du colloque organisé par l'INRS ?
Le premier objectif est de sensibiliser les préventeurs et de les inciter à s'emparer de la question des expositions multiples. Le colloque Multiexpositions 2012 (du 2 au 4 avril – Nancy) réunira la plupart des experts qui travaillent aujourd'hui sur le sujet : chimistes, mathématiciens, physiologistes, médecins, juristes... Trois thèmes principaux seront abordés : le bruit et les agents ototoxiques, les expositions aux produits chimiques, les interactions entre l'activité physique et les autres expositions professionnelles. La manifestation présentera un point complet sur l'état actuel des connaissances et permettra notamment de découvrir les initiatives mises en place à l'étranger tant en matière de recherche qu'au niveau réglementaire. Mais c'est surtout l'occasion d'établir des ! ponts solides entre chercheurs et préventeurs et de développer des synergies qui au final permettront d'offrir aux salariés une prévention mieux adaptée à la réalité de leur environnement de travail.
Pour aller plus loin :
- Dossier : Colloque Multiexpositions 2012
- Publication : Bruit et agents ototoxiques
- Dossier : Risques chimiques
- Dossier : Bruit
Auteur : INRS.